Tous les articles par admin

Bibliothèques radicales – Archives et reading rooms à la 15e édition de la documenta, Kassel

Texte écrit par Lou Ferrand dans le cadre de la bourse

de voyage et de recherche Jeunes Commissaires 2022

 

«  Des bibliothèques qui sont plus que des livres, dans des bâtiments qui sont plus que de la pierre. » Rachel Dedman

En 2014, la maison d’édition américaine Semiotext(e) a été invitée à participer en tant qu’artiste à la Biennale du Whitney, proposant pour l’occasion une installation conçue par l’artiste Jason Yates, au sein de laquelle il était possible de consulter vingt-huit publications-pamphlets des auteur·ices de la maison ; comprenant par exemple Franco « Bifo » Berardi, Chris Kraus, Eileen Myles, Abdellah Taïa, ou encore Simone Weil et Jean Baudrillard. Inviter une maison d’édition – dont le paysage des publications s’étend pour Semiotext(e) de la littérature expérimentale féministe à la philosophie ou au récit de luttes –, au sein d’une biennale canoniquement réservée à des propositions d’artistes, n’était pas un geste anodin de la part du curateur Stuart Comer. La reading room proposée par Semiotext(e) conviait en effet le public à s’asseoir, toucher et interagir avec les livres, qui faisaient figure d’œuvres, là où ces gestes sont d’ordinaire proscrits au sein de l’espace muséal. Cette invitation soulevait la question esthétique de la rencontre physique avec l’immatérialité du texte, de sa médiatisation curatoriale, des liens entre littérature et plasticité. Mais aussi celle, peut-être plus politique, de comprendre comment la littérature peut devenir un bien commun et vivant, pouvant être arpenté à plusieurs, loin du silence et de l’individuation des bibliothèques institutionnelles, qui peuvent être des espaces panoptiques et disciplinaires.

Fig 1 : Vue d’installation, « Semiotext(e): New Series » (2014) par Semiotext(e),Whitney Biennial 2014, Whitney Museum of American Art, New York (collection de Semiotext(e), photo de Bill Orcutt)

Près d’une décennie plus tard, ruangrupa, collectif indonésien invité à curater la 15e édition de la documenta, poursuit cette volonté d’inclure la production éditoriale au sein des propositions artistiques, en conviant plusieurs collectifs dont les pratiques ont trait à l’archive et à la publication, et en concevant par exemple un « lumbung of publishers », réseau informel de partage de ressources. En effet, cette 15e édition n’a volontairement pas été conçue autour d’une inscription thématique, mais davantage comme une observation des méthodes actuelles de collaboration, d’auto-organisation, de processus, d’apprentissage critique, d’expérimentation et de partage, défendant notamment une lecture non-occidentale, anti-impéraliste et décoloniale du monde. Dans un enjeu de revisiter, de réinterpréter, de tordre ou de démanteler les récits dominants, il est intéressant d’observer particulièrement les propositions de cette documenta liées au médium du livre. Une manière de questionner comment combler certains vides, amplifier certaines voix, et proposer de nouvelles généalogies, qu’elles soient posées comme éminemment critiques ou dans un désir de réparation. Car si le geste de constituer une bibliothèque est l’un des plus anciens – dans une sorte de vain dessein de totaliser et classifier les savoirs du monde, ou tout du moins, d’un monde –, force est de constater que la bibliothèque peut se faire l’extension d’une historiographie officielle et dominante, ou au contraire, proposer un récit plus subversif et militant. Chaque bibliothèque est ainsi à lire dans ses pleins, ses vides et ses déliés, ses manques pouvant peut-être être aussi éloquents que les éléments la composant. Comme l’écrit Laura Larson, « comme toute structure hiérarchique, la bibliothèque est un site vulnérable, prête à être percée, démantelée, et reconstruite[1] ».

ruangrupa a notamment formulé une invitation au collectif Fehras Publishing Practices, qui travaille sur une nouvelle historiographie artistique générée par la production éditoriale en langue arabe, à travers plusieurs zones géographiques (entre la Méditerranée, l’Afrique du Nord et la diaspora arabe). Fondé en 2015 à Berlin, Fehras a travaillé à partir de différents médiums, tels que l’archive, le livre mais aussi la bibliothèque, abordant des questions d’identités, de genre, de migrations et de dominations. Leur projet Series of Disappearances s’intéresse par exemple aux bibliothèques personnelles de différent·es intellectuel·les, auteur·rices ou éditeur·ices, en observant comment celles-ci subissent des mécanismes de déplacement, de re-localisation, de contextualisation ou de disparition. Dans leur travail, le livre et la bibliothèque apparaissent comme potentiels vecteurs par lesquels prendre le pouls d’un monde en perpétuelle reconfiguration, comme perméables aux idéologies, aux conflits et aux hégémonies, autant que comme réseaux ou flux de collaboration, d’amour et de résistance. Pour la documenta, Fehras a investi avec Borrowed Faces la forme du roman-photo, genre typique de l’époque de la Guerre Froide, époque que le projet désire explorer en prenant l’angle des pratiques féministes qui s’exerçaient à l’époque dans le monde de l’édition. Déployé sur un ensemble de panneaux dans une scénographie qui devient presque labyrinthique, le roman-photo quitte l’espace du livre pour prendre tout l’espace ; non dénuée d’humour, la proposition interchange les rôles entre éditeurs et personnages, et fait recours à la fiction comme moyens de « queeriser » le récit et d’hybrider le genre.

Fig 2 : Vue d’installation, « Borrowed Faces » (2022) par Fehras Publishing Practices, 15e documenta, Kassel, 2022. Photo de Liza Maignan

Au Fridericianum, lieu principal et historique de la documenta, The Black Archives propose une déambulation à travers sa collection de livres, documents et artefacts liés « aux histoires Noires et non-occidentales, et à l’histoire des mouvements de solidarité transnationale liée aux oppressions, qui ne sont pas enseignées à l’école ou narrées au sein de l’histoire institutionnelle publique[2] ». Le collectif y reproduit une partie de sa bibliothèque, consultable au sein de l’exposition. Sans nomenclature rigide, cette dernière fonctionne par entrées problématisées, telles que « How to be a better Black feminist? », « Black trans & queer rights are human rights », « We did it for the children », présentant entre autres des ouvrages de Françoise Vergès, Maya Angelou, Toni Morrison ou Angela Davis. Chaque élément de la proposition pouvant être reproduit sur place par le public, il s’agit par là pour le collectif de proposer un socle pour  entretenir des conversations, partager des ressources, susciter des prises de conscience et reconstituer une mémoire commune. Dans la même salle, on trouve également les Archives des Luttes de Femmes en Algérie, fondées par un collectif d’anthropologues, chercheuses et photographes, ayant pour vocation de rendre visibles les protestations et actions féministes algériennes, depuis l’indépendance du pays en 1962 jusqu’à nos jours. Leur travail, qui lui aussi désire pallier aux adversités d’invisibilisation, de fragilité et d’oubli, propose un écho fécond aux propos de la documentariste Nedjma Bouakra : « En chacun·e de nous sommeille un·e archiviste dont nous pouvons prendre soin : se souvenir des évènements souhaités, non advenus, préserver des textes à l’ébauche, ses élans, assumer ses prises de parole inaudibles et sortant des cadres de références du moment (…). S’intéresser aux archives féministes et populaires demande de travailler à partir des branches mortes des récits, de nos intuitions et songes, d’éclairer les réitérations de l’oubli, l’ombre portée par nos ellipses[3]. »

Fig 3 : Vue d’installation, The Black Archives, 15e documenta, Kassel, 2022

 

Une autre proposition est celle de LE18, espace culturel multidisiciplinaire créé en 2013 et situé à Marrakech. Invité·es à intervenir à Kassel, les membres du collectif ont travaillé pendant plusieurs mois à l’élaboration d’une exposition, forme curatoriale qui semble alors la plus évidente et la plus instinctive, tel un automatisme. À quelques mois du vernissage, et après de très nombreux rendez-vous, les membres du collectif racontent avoir été frappé·es par une sorte de révélation ; celle que cette prédisposition naturelle à l’exposition était à déjouer, ne semblant plus être le modèle vers lequel se diriger. Dans un texte à l’entrée de l’espace qui accueille leur proposition à WH22, elles·ils écrivent : « Ce dont Kassel a besoin, c’est d’un refuge pour celles et ceux qui se sont perdu·es comme nous. Une porte vers le ciel, ouverte, pour accueillir notre épuisement et nos échecs, mais aussi ceux de la documenta – l’échec, comme le succès, est dialectique ». Ainsi, en lieu et place d’une exposition canonique, LE18 propose une « tiny library » et une « film library », un espace de consultation d’éditions et de films, doté de canapés, permettant une libre circulation, des modalités de lecture et une utilisation du temps émancipées de toute consigne autoritaire. Proposant une sélection de fanzines, éditions, livres d’artistes et DVDs provenant de la scène culturelle maghrébine, la règle du jeu est la suivante : « Prenez le temps de parcourir notre sélection. Feuilletez les pages, ressentez et sentez le goût du papier. Certaines ont-elles attiré votre attention ? Si oui, et si vous avez un peu de temps pour vous reposer, prenez un livre, asseyez-vous sur l’un des canapés ou des fauteuils de notre espace, et laissez-vous absorber par les histoires qu’il veut vous raconter. » Allant de romans d’Assia Djebar à la revue Narrative Machines de Ghita Skali en passant par les films de Farida Benlyazid, pionnière féministe du cinéma marocain, la proposition de LE18 est moins celle d’un refus ou d’une négation initiale que celle d’une volonté de transmission par la libre juxtaposition de ces ressources. Ce faisant, leur reading/watching room prend en compte les corps sans exercer sur eux d’emprise disciplinaire ou coercitive, créant de nouvelles généalogies et récits de la scène artistique marocaine et de ses expérimentations, à rebours de velléités d’uniformisation des formes culturelles.

Fig 4 : Vue d’installation, « Tiny Library », LE18, 15e documenta, Kassel, 2022

 

Dans un essai intitulé « Embracing Noise and Other Airborne Risks to the Reading Body », Elizabeth Haines interroge : « Recalibrer la relation entre la bibliothèque et les corps qui lisent demande plus que de réclamer davantage d’espace sur les étagères. Cela demande plus que de re-catégoriser les livres. Cela demande de repenser le paradigme architectural de la bibliothèque, de manière à faire de la place aux êtres corporels qui utilisent l’acte de lecture pour partager leur vulnérabilité, leurs espoirs, leurs germes, leurs fluides et les différents tons de leurs voix. (…) Pourrions-nous imaginer des paradigmes architecturaux pour la lecture, dans lesquels l’espace de la bibliothèque serait un forum pour une communauté vivante, qui prend soin des livres et lit ensemble[4] ? ».

C’est peut-être appliqué aux espaces d’art contemporain, qui bien qu’eux-mêmes codifiés peuvent ponctuellement déjouer les permissions et les interdictions appliqués dans d’autres espaces, que l’on peut trouver des interprétations radicales de ces « nouveaux paradigmes architecturaux ». Les enjeux curatoriaux appliqués aux dispositifs de lecture, comme dans les canapés de LE18, peuvent tendre à ces moments où les livres ne sont plus des sculptures mais les possibles réceptacles de nos affects, que l’on peut toucher, appréhender, arpenter, avec lesquels il est possible de faire corps, éventuellement abîmer, imbiber de nos propres fluides, marquer de notre passage. En accueillant au sein des expositions, et plus encore au sein des biennales – qui en sont une forme que certain·es dénoncent comme « monstrueuses » de par leur gigantisme –, ces propositions de reading rooms, les artistes, curateur·rices et éditeur·rices peuvent proposer des armes collectives de pensées. Une « littérature élargie » (expanded literature) qui fait du livre, de sa mise en relation avec d’autres livres et avec d’autres corps, une courroie de transmission à partir duquel il serait possible d’accéder à d’autres histoires, d’autres récits, et se mettre à penser ensemble.

Lou Ferrand

[1] Laura Larson, « Preface », in Heide Hinrichs, Jo-ey Tang, Elizabeth Haines (eds)., shelf documents, art library as practice, Antwerp & Berlin, b_books, 2020, p. 13.

[2] Carine Zaayman, Chiara De Cesari & Nuraini Juliastuti, notice dans le catalogue de la documenta.

[3] Nedjma Bouakra, « Archives », in Elsa Dorlin (dir.), Feu ! Abécédaire des féminismes présents, Montreuil, Éditions Libertalia, 2021, p. 48.

[4] Elizabeth Haines, « Embracing Noise and Other Airborne Risks to the Reading Body », op. cit., p. 81.

Pierre Leyrat

[POINT DE VUE 2022]

Pierre Leyrat est responsable des expositions de la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris et commissaire d’exposition indépendant. L’une des missions de la Fondation HCB est de susciter la réflexion autour de la photographie par le biais d’expositions, conférences, tables rondes et projections. Au sein de la Fondation HCB, il a notamment conçu les expositions suivantes : : Henri Cartier-Bresson, Chine 1949-1958, Marie Bovo – Nocturnes, Eugène Atget – Voir Paris et de John Coplans – La Vie des Formes. Diplômé de Sciences Po Bordeaux en 2015, il a assuré la coordination du premier Mois de la Photo du Grand Paris en avril 2017 ainsi que la production de 14 expositions de la deuxième édition de la biennale Foto/Industria à Bologne de 2017, dédiée à la photographie autour de l’industrie et du monde du travail.

Lucas Jacques-Witz

[MISSION EN INSTITUTION 2022 A LA KUNSTHALLE PORTIKUS]

Lucas Jacques-Witz (FR, 1993) est archiviste et commissaire.

Il est basé à Marseille, où il a fondé la bibliothèque indépendante Giselle’s Books qui s’intéresse notamment à travers une programmation centrée sur des initiatives éditoriales à valoriser des zones ombragées de ce que l’on s’accorde localement à nommer, la scène internationale de l’édition d’art.

Après s’être dévoué à la publication en librairie spécialisée, il a assisté l’archive de Mail Art Allemande, The Mail Art Archive of Ruth Wolf-Rehfeldt and Robert Rehfeldt à Berlin.

Plus récemment, il a préparé le second volet de l’Archive de Hans-Ulrich Obrist pour la Fondation Luma à Arles dédié à Etel Adnan aux côtés de Arthur Fouray.

En 2021, il a organisé la première exposition monographique en France de la revue et collectif britannique InventoryA doctrine of scattered occasions à Giselle’s Books. Il est également à l’initiative du rendez-vous annuel d’éditeurs et de lecteurs, Giselle Salon.

À travers les archives, ses intérêts sont dédiés à des formes de relectures qui cherchent à combiner création émergente et réactualisation de pratiques étant sorties du spectre d’attention temporaire que semble incarner l’art contemporain.

LES VITRINES : APPEL À CANDIDATURE 2023

RECHERCHE UN OU UNE COMMISSAIRE POUR LE PROJET D’EXPOSITION LES VITRINES 2023 À LA MAISON DE FRANCE DE BERLIN

Janvier – Décembre 2023

Date limite de candidature : 17 août 2022

Appel ouvert aux commissaires d’expositions et artistes curateurs·trices pour la conception d’un cycle d’expositions dans les vitrines de la Maison de France située Kurfürstendamm 211, 10719 Berlin, entre janvier et décembre 2023.

MERCI DE BIEN CONSULTER LE CAHIER DES CHARGES DE L’EXPOSITION AVANT DE CANDIDATER

Présentation du programme « Jeunes Commissaires »

Le programme « Jeunes Commissaires » a été créé en 2013 par le Bureau des arts plastiques de l’Institut français d’Allemagne en étroite collaboration avec le Ministère de la Culture et l‘Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (OFAJ). « Jeunes Commissaires » vise à établir de nouvelles formes de soutien aux commissaires d’exposition émergent.e.s français.es sur la scène artistique allemande. La priorité du programme est l‘accompagnement des démarches de jeunes commissaires et professionnels des métiers de l’exposition, l’incitation à la mobilité et à la circulation des informations ainsi que le renforcement d’un réseau européen.

En savoir plus

Mission Transmediale – Jade Barget

Le festival transmediale propose de nouvelles perspectives sur l’évolution des technologies et invite à réfléchir aux façons dont ces technologies transforment nos sociétés post numériques. En tant que curatrice indépendante, je m’intéresse aux cultures de l’écran et de l’image en mouvement, notamment à l’influence de l’évolution des médias sur nos subjectivités, nos mémoires et nos histoires. À travers le programme Jeunes Commissaires, je me suis retrouvée parachutée au sein de l’observatoire spéculatif qu’est la transmédiale, en pleine phase de conception du festival 2021-22. Cette expérience m’a fait réfléchir aux formes curatoriales discursives, et m’a encouragée à aborder les problématiques de mes recherches de manière technique, appliquées à notre monde computationnel. It’s a match.

D’octobre 2021 à février 2022, j’ai travaillé à distance à la réalisation du symposium This is Not Anarchy, This is Chaos, me rendant sur place à deux reprises, en novembre, et en février, pour la production du festival.

Le symposium de deux jours a eu lieu à la Haus der Kulturen der Welt, et a mêlé performances, projections, lectures, et discussions entre penseur·euse·s. Conçu comme une séance de binge-watching (visionnage boulimique), le symposium s’articulait autour de la notion du refus – ses formes possibles, son potentiel et ses limites.

Le premier jour fut consacré aux façons dont les algorithmes créent le désir, le fantasme et la foi dans notre ère de post-vérité. Le symposium proposa également une réflexion sur la force « atomisante » des algorithmes : la façon dont ceux-ci peuvent annihiler les formes de collectivité. Les penseur·euse·s invité·e·s ont réfléchi aux possibilités et limites du refus dans ce contexte computationnel régi par les algorithmes. Les invité·e·s étaient : Adam Bobbette, Antonia Hernández, Bassam El Baroni, Bassem Saad, Che Applewhaite, Distributed Cognition Cooperative (Anna Engelhardt, Sasha Shestakova), Donal Lally, Imani Jaqueline Brown, Laura Cugusi, MELT (Ren Loren Britton & Isabel Paehr), Nishant Shah, Paolo Gerbaudo, Robert Gerard Pietrusko, Phanuel Antwi, Sabine Gruffat, Xenia Chiaramonte, Zach Blas.

Le deuxième jour, le symposium porta une réflexion sur les stratégies de refus face à la dette et à la pénurie, proposant une étude des tactiques de l’évasion, du compromis, et de la spéculation, en donnant la parole à : Ahmed Isamaldin, AM Kanngieser, Bahar Noorizadeh, Byung-Chul Han, Cindy Kaiying Lin, Dele Adeyemo, Elaine Gan, Elsa Brès, Gary Zhexi Zhang, Jack Halberstam, Magda Tyżlik-Carver, Mary Maggic, Maya Indira Ganesh, Max Haiven, Olúfẹ́mi O. Táíwò, Patricia Domínguez et Nicole L’Huillier, Samir Bhowmik, Timothée Parrique.

Aujourd’hui, en juin 2022, quatre mois après la fin du symposium, certaines contributions continuent d’influencer mes pensées. Notamment, la lecture d’Olúfẹ́mi O. Táíwò, et celle de Phanuel Antwi. O. Táíwò analyse les crises telles que la crise écologique comme inscrite dans un système de distribution planétaire établi par l’impérialisme racial, lui-même construit sur le colonialisme et l’esclavagisme. Cet ordre ou système de distribution permet l’accumulation des denrées comme la richesse, le savoir ou encore la capacité de recherche dans le Nord, et les déchets toxiques, la pauvreté et la violence dans le Sud. Selon lui, la réparation passe par l’élaboration d’un nouveau système de distribution planétaire.

Phanuel Antwi, quant à lui, refuse de penser le rêve comme activité passive. Il parle du rêve anticolonial qui, en particulier s’il est un rêve partagé avec d’autres rêveurs, peut avoir une force d’organisation de luttes et de transformation du monde.

À la fin du symposium, nous nous sommes quittés, mais la séparation fut très courte : deux mois, pour être exact. Aujourd’hui, j’habite entre Berlin et Paris, et je travaille sur l’édition 2023 du festival.

Tianzhuo Chen The Dust, 2021, installation © Luca Giradini

Alaa Mansour, The Mad Man’s Laughter, 2021, still © Luca Giradini

#Throwbackto Jeunes Commissaires

Le Bureau des Arts plastiques lance sa nouvelle série #Throwbackto Jeunes Commissaires sur Instagram et sur son site internet. Sous forme de courts entretiens, nous avons choisi de donner la parole aux ancien.ne.s lauréat.e.s du programme Jeunes Commissaires. L’occasion de (re)découvrir le parcours professionnel et les activités récentes des anciens participant.e.s du programme.

Participant.e.s:

Agnès Violeau

Céline Poulin

Karima Boudou

Tristan Deschamps

Diane Turquety

Marianne Derrien

Sophie Lapalu

 


Agnès Violeau

Pouvez-vous nous parler de votre expérience Jeunes Commissaires?

Je m’appelle Agnès Violeau, je suis curatrice et écrivaine (1976, Paris). Mes recherches portent sur l’exposition en tant que phénoménologie. J’ai été invitée par JC en 2015 – 2016 dans le cadre de In Extenso, avec Mark Bembekoff, Céline Poulin, lornce Ostende et Karima Boudou pour explorer la performance en contexte d’espace public. En tant que principale intervenante aux côtés de Christian Jankowski et Léa Gauthier, j’ai axé mon intervention sur la notion d’interprétation. La dernière exposition dont nous avons assuré le commissariat, « A space is a space is a space » à DAZ en 2016, était un projet in situ, dans un espace public, mais aussi un projet en ligne et éditorial, visant à mettre en scène le contexte, la fugacité et la narration. Conçue comme une mise en scène performative, l’exposition comportait des ramifications sur le papier, dans les corps et sur Internet, sous la forme d’une expérience spatiale et temporelle.

Quoi de neuf depuis Jeunes Commissaires?

Je suis actuellement commissaire d’exposition et responsable des expositions et des publications au 49 Nord 6 Est Frac Lorraine, ainsi que curatrice indépendante. J’ai également enseigné le curating et l’esthétique à Paris et à Shanghai. Après la fin de ‘The Real Show’ – un concept copyleft mené par le Cac Bretigny (avec Céilne Poulin) qui reliera le CAC et le FRAC à Sandwich Bucharest, LCCA Riga et PLATO, Ostrava, je prépare une exposition au FRAC Lorraine avec les œuvres immatérielles de sa collection puisqu’elle sera immobilisée pour inventaire jusqu’en mars 2023. L’exposition mettra en valeur la seconde vie d’une œuvre et le matériau commun des objets. Elle engagera les visiteurs à co-créer l’exposition, dont ils seront la composante principale.

Quel serait le projet de vos rêves?

J’ai eu la joie de co-créer avec Sandwich Bucarest un projet finaliste pour le pavillon roumain à la dernière biennale de Venise et j’aimerais beaucoup revivre cette expérience. Le projet proposait une réflexion sur la destruction des œuvres d’art, un sujet qui est non seulement un élément clé de ma recherche, mais aussi une menace réelle quand on voit la situation de guerre mondiale actuelle. J’aimerais organiser une Biennale avec des thèmes comme la dématérialisation et les méta-situations comme lieux d’individuation. Dans cinq ans, j’espère pouvoir travailler avec des artistes et des auteurs d’autres disciplines sur de nouvelles formes et idées stimulantes qui me tiennent en vie.

‘Language is a skin’ au 49 Nord 6 Est Frac Lorraine, un spectacle solo de Hanne Lippard (rencontrée au KW à Berlin en 2015 après une rencontre avec les Jeunes Commissaires à DAZ) qui a eu lieu au Frac en 2021. Le spectacle, conçu sur le principe d’un jeu vidéo ou d’un livre dont vous êtes le héros, ouvre un espace réflexif autant que physique d’individuation à travers une série d’œuvres sonores et textuelles questionnant notre obsolescence programmée. Hanne Lippard (1984, Royaume-Uni, vit et travaille à Berlin) utilise sa voix comme matériau dans des installations, des textes ou des pièces sonores traitant des usages sociaux et de la prédominance de la voix féminine. L’exposition reflète son travail avec le métavers dans lequel nous naviguons, offrant un espace de libre expression comme alternative au patriarcat numérique.

Avec l’aimable autorisation de l’artiste et du Frac Lorraine, photos : Fred Dott.

‘Wax Figures’, une exposition personnelle de Delphine Balley qui a eu lieu au MAC Lyon en 2021. J’ai été invitée comme curatrice associée en 2019 par Matthieu Lelièvre avec une artiste que je ne connaissais pas auparavant . Les deux années de covid sont devenues l’occasion d’élaborer un projet situé avec l’artiste dont c’était la première exposition personnelle institutionnelle. L’exposition a été conçue comme une mise en scène de notre propre impermanence. L’ensemble du parcours, composé de vidéos, de photographies et pour la première fois de sculptures, était activé par les visiteurs et leur déplacement dans la structure du musée qui devenait un théâtre temporel – salles, couloirs et rideaux rapportés.

Courtesy de l’artiste et MAC Lyon, photos : Blaise Adilon


Céline Poulin

Three questions for… Céline Poulin - Exberliner

Comment votre participation à Jeunes Commissaires a-t-elle influé sur votre activité actuelle?

C’est amusant car j’ai rencontré Agnès Violeau – avec qui je suis maintenant co-commissaire d’une exposition au CAC Brétigny – il y a 7 ans avec JC, et nous avons réalisé ce merveilleux projet « A SPACE IS A SPACE IS A SPACE » avec J-P. Flavien. Quand j’ai rouvert le CAC Brétigny en 2016, Flavien et moi avons imaginé une nouvelle version de cette connexion entre l’espace d’exposition et l’espace d’internet pour faire suite à la question du flou entre espace privé et espace public (JUMP). Agnès faisait partie de nos invités bien sûr !

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Actuellement, je présente « The Real Show » au CAC Brétigny, où j’assure le poste de directrice depuis 2016. Agnès Violeau et moi codirigeons ce spectacle qui creuse et expose les mécanismes ascendants et descendants de la popularité et de ses représentations. Ce concept « copyleft » exploré à travers plusieurs opus, « The Real Show » sera présenté dans différents lieux à travers le monde. La première manifestation à Brétigny est l’épisode pilote d’une succession d’événements qui reprendront le modèle des séries télévisées ou des films, avec spin-off, prequel, reboot ou sidequel.

Quels sont vos projets à venir ?

Je veux aller plus loin dans ma recherche pratique en cours à la croisée de l’art contemporain et de l’éducation populaire, très liée aux travaux et recherches de Marie Preston. Je mène des projets au CAC Brétigny, comme ELGER avec de jeunes et brillants artistes (Juliette Beau Denès, Laura Burucoa, Morgane Brien-Hamdane, Pauline Lecerf, Vinciane Mandrin, Zoé Philibert, co-commissionné avec Fanny Lallart), et Ǝcole, un espace de discussion et d’expérimentation sur les pratiques et les savoirs en arts visuels, co-construit avec certains usagers du CAC.

Photo atelier été culturel Vinciane Mandrin Marolles en Hurepoix accueil de loisirs 19-07-21 Atelier avec Pauline Lecerf, à l’Ecole André Malraux à Villiers-sur-Orge.«ELGER», CAC Brétigny, 2021. Photo: © Louise Ledour. Vues de l’exposition «JUMP», Commissaire: Céline Poulin. CAC Brétigny, 2016. Photo: © Aurélien Mole. Vues de l’exposition «JUMP», CAC Brétigny, 2016. Capture d’écran du site cacbretigny.com Inventer l’école, penser la co-création, Marie Preston, dir. Céline Poulin et Marie Preston. Editions Tombolo Presse et CAC Brétigny, 2021. Photo: Aurélien Mole Hanne Lippard, Anonymities, 2017. Courtesy de l’artiste et de LambdaLambdaLambda Prishtina—Bruxelles. Vue de l’exposition «The Real Show». Commissaires: Agnès Violeau et Céline Poulin, assistées d’Ariane Guyon. CAC Brétigny, 2022. Photo: Aurélien Mole. Vue de l’exposition «The Real Show». Commissaires: Agnès Violeau et Céline Poulin, assistées d’Ariane Guyon. CAC Brétigny, 2022. Photo: Aurélien Mole. Vue de l’exposition «The Real Show». Commissaires: Agnès Violeau et Céline Poulin, assistées d’Ariane Guyon. CAC Brétigny, 2022. Photo: Aurélien Mole. Vue de l’exposition «The Real Show». Commissaires: Agnès Violeau et Céline Poulin, assistées d’Ariane Guyon. CAC Brétigny, 2022. Photo: Aurélien Mole.


Karima Boudou

© Katrina Sorrentino

Comment votre participation à Jeunes Commissaires a-t-elle alimenté votre activité actuelle ?

Cette participation en 2015 m’a permis de poursuivre un travail de long terme, commencé en 2012 et auquel l’Institut français de Paris avait contribué en me permettant de prendre part au programme international de commissariat d’exposition à De Appel à Amsterdam. Cela m’a permis de rester active dans un réseau professionnel international, me fournissant ainsi un important ensemble d’outils. Depuis, je suis parvenue à garder plusieurs cordes à mon arc : aujourd’hui, je travaille comme collaboratrice scientifique à la Haute école des arts de Berne (HKB), comme historienne de l’art et comme commissaire d’exposition indépendante.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Dans le cadre de mon emploi à la Haute école des arts de Berne (HKB), je travaille au sein de l’Institut Pratiques et théories des arts (unité de recherche « Cultures auditives ») sur un projet de recherche à long terme intitulé « Esthétique collaborative dans l’art sonore mondial « . En parallèle, je vais bientôt commencer à écrire un nouvel essai pour Trigger, le magazine de FOMU – Fotomuseum Antwerpen. Il traitera de mon travail sur la vie et les archives de l’homme politique et panafricaniste Mehdi Ben Barka, en croisant à la fois les archives familiales et mon travail dans les archives photographiques de la Bancroft Library (UC Berkeley, Californie). Le mois prochain, je me rends à Francfort pour donner un séminaire à la Städelschule intitulé « Jazz is my religion, and Surrealism is my point » sur le surréaliste afro-américain Ted Joans ! Je fais également partie d’une équipe internationale de curateurs pour le projet The Color Curtain and The Promise of Bandung qui prendra la forme d’une exposition au Berkeley Art Museum, à la Pacific Film Archive (États-Unis) et au Gropius Bau à Berlin.

Quels sont vosprincipaux objectifs pour les années à venir ?

Mon premier objectif est d’approfondir et de maintenir mon travail de recherche avec mon équipe à Berne au sein de l’université jusqu’en septembre 2025. Mon deuxième objectif est de finalement faire la transition vers l’institution et de trouver le contexte et les circonstances pour travailler comme curatrice dans un musée dans les domaines de l’art moderne et contemporain. Pour moi, travailler à la fois dans une université et dans un musée serait un scénario idéal qui combine la théorie, la recherche, le contexte social avec la collectivité, l’histoire de l’art et la pratique des expositions. Mon troisième objectif à très court terme est d’établir dans ma nouvelle maison à Schaerbeek mon bureau avec mes archives et ma bibliothèque privées. Je pense que mon avenir s’écrira ici en Belgique, avec des allers-retours à Berne.

1-54 FORUM Let’s Play Something Let’s Play Anything Let’s Play dedicated to Ted Joans (1928-2003) and curated by Karima Boudou, event Jazz Is My Religion, Surrealism is my point of view at Le 18, Marrakech, 2019. Ted Joans, an ongoing research line with multiple iterations 2019 – 2024. Photo courtesy Le 18 and 1-54 FORUM.

John Digby, Bill Wolak, Joyce Mansour and Ted Joans, with Arthur Rimbaud. Ted Joans, an ongoing research line with multiple iterations 2019 – 2024. Date and courtesy unknown.1-54 FORUM Let’s Play Something Let’s Play Anything Let’s Play dedicated to Ted Joans (1928-2003) and curated by Karima Boudou, event Jazz Is My Religion, Surrealism is my point of view at Le 18, Marrakech, 2019. Ted Joans, an ongoing research line with multiple iterations 2019 – 2024. Photo courtesy Le 18 and 1-54 FORUM.Dutch newspaper clipping on Ted Joans, from the archive of Laurens Vancrevel. Ted Joans, an ongoing research line with multiple iterations 2019 – 2024. Photo courtesy Laurens Vancrevel.1-54 FORUM Let’s Play Something Let’s Play Anything Let’s Play dedicated to Ted Joans (1928-2003) and curated by Karima Boudou, event Keepin’ Words Surreal: here with Boniface Mongo-Mboussa drawing on the life and work of Congolese poet Tchicaya U Tam’si (1931-1988) and his involvement with surrealism; and M’barek Bouhchichi giving insights into his work and research around M’barek Ben Zida (1925-1973), a black Amazigh poet from Tata, south-eastern Morocco. Ted Joans, an ongoing research line with multiple iterations 2019 – 2024. Photo © Katrina Sorrentino.Ted Joans performing at « Vingården »in Copenhagen. Ted Joans, an ongoing research line with multiple iterations 2019 – 2024. Photo courtesy of Tor Jones.The Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire Vivante and the  SNES – at a gathering in the memory of Ben Barka, 56 years after the kidnapping and abduction of the Moroccan Third World leader. Friday, October 29, 2021 at 6:00 pm Boulevard Saint-Germain in front of the Brasserie LIPP. Mehdi Ben Barka (1920-1965), an ongoing research line with multiple iterations 2020 – 2024. Photo by Karima Boudou.Conducting research on Mehdi Ben Barka in the archives of the International Institute for Social History (IISH), February 2020 in Amsterdam. Mehdi Ben Barka (1920-1965), an ongoing research line with multiple iterations 2020 – 2024. Photo by Karima Boudou.Event BOOKS with Karima Boudou at Witte de With Center for Contemporary Art, October 2020, Rotterdam. In this BOOKS program, art historian and curator Karima Boudou opens up her research into the remarkable life and archive of Mehdi Ben Barka. Mehdi Ben Barka (1920-1965), an ongoing research line with multiple iterations 2020 – 2024.Books by Mehdi Ben Barka from the private archive of Karima Boudou. Mehdi Ben Barka (1920-1965), an ongoing research line with multiple iterations 2020 – 2024.Photo Karima Boudou. Event BOOKS with Karima Boudou at Witte de With Center for Contemporary Art, October 2020, Rotterdam. In this BOOKS program, art historian and curator Karima Boudou opens up her research into the remarkable life and archive of Mehdi Ben Barka. Mehdi Ben Barka (1920-1965), an ongoing research line with multiple iterations 2020 – 2024. Photo Karima Boudou.Development of the research line in the office in Schaerbeek – with material from the private archive of Karima Boudou. Mehdi Ben Barka (1920-1965), an ongoing research line with multiple iterations 2020 – 2024. Photo Karima Boudou.Announcement for a conference, in the frame of the project The Color Curtain and The Promise of Bandung, Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive and Städelschule, organized by Philippe Pirotte, 21 October 2021. Image courtesy Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive and Städelschule.Fragment of a press article on Mehdi Ben Barka, “Morocco – The Challenger”, published in Time Magazine, September 1959. Photo courtesy the Ben Barka Family Archive.


Tristan Deschamps

Quoi de neuf depuis Jeunes Commissaires ?

Depuis que j’ai participé au programme Jeunes Commissaires, j’ai eu la chance de travailler sur différents projets d’exposition, seul, mais aussi avec le project space que je co-dirige avec Cristina Ramos et Flavio Degen, +DEDE. Et surtout de développer davantage mon émission de radio « The Eggman Gallery Radio Hour », que j’ai créée en 2020 avec mon ami Sebastian Fuller. Je suis très heureux que nous ayons maintenant une diffusion bimensuelle sur Cashmere Community Radio à Berlin.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

Je viens de rentrer à Berlin de Bangkok où je travaillais sur mon exposition « stricte intimité » qui a été inaugurée à la Biennale de Bangkok le 26 février. C’est un beau projet, une exposition de groupe avec 9 artistes, qui a été retardée ces deux dernières années à cause de la pandémie, je suis très reconnaissant qu’elle ait finalement pu avoir lieu. Ce projet a été, et est toujours, un grand sujet de préoccupation pour moi, car je m’efforce de construire une relation durable entre ma pratique et la scène de l’Asie du Sud-Est.

Quel est ton projet de rêve ?

Pouvoir co-curater une exposition avec des personnes de différents domaines d’expertise et avec des artistes et autres professionnels extérieurs à l’art contemporain, et surtout avoir suffisamment de temps pour la préparer. En raison de mes autres activités et surtout de mon travail alimentaire, il est souvent difficile d’allouer tout le temps nécessaire à la planification idéale d’une exposition.

Stricte intimité, exposition curatée par Tristan Deschamps, Biennale de Bangkok 2022. Crédits photos: @beebaa


Diane Turquety

Quoi de neuf depuis Jeunes commissaires ?

J’ai collaboré à Sismographie des luttes. L’exposition a circulé à Dakar, Rabat, New York et Marseille. Elle offre un récit, depuis les revues non-européennes, des luttes d’émancipation menées aux 19e et 20e siècles. J’ai aussi été lauréate avec Victorine Grataloup de l’appel à projet curatorial de Mécènes du Sud, Montpellier-Sète. Aube immédiate, vents tièdes, a réuni 12 artistes contemporains autour du post-exotisme, oeuvre littéraire d’Antoine Volodine – une manière encore, d’affirmer les possibles de la fiction au coeur du politique.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment?

Je conduis actuellement le projet “Partage d’archives du 1er festival culturel de Dakar 1966”. Ce projet est porté dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire du Labex “Les passés dans le present”. Il fédère partenaires africains et européens pour rendre accessibles les archives papiers, radio et cinema de cet événement essentiel de l’histoire du panafricanisme. Des outils numériques en ligne sont développés et des manifestations scientifiques et culturelles sont menées à Paris et à Dakar.

Quels sont vos projets à venir?

La Biennale de Dakar ouvre le 19 mai et pour ma part, du 25 au 27 mai, je serai avec l’ensemble des partenaires du projet “Partage d’archives” à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Au programme : journée d’études, séminaire interdisciplinaire, cycle de projections en lien avec la programmation de films panafricains “Tigritudes” (prog. Valérie Osouf et Dyana Gaye) et une exposition d’archives photos à la Bibliothèque de l’UCAD pour la Biennale OFF.

Sismographie des luttes, FID / La compagnie, Marseille, photo Sébastien Arrighi

Aube immédiate, vents tièdes. Dimitri Robert-Rimsky, photo Elise Ortiou Campion

Aube immédiate, vents tièdes. Dimitri Robert-Rimsky, photo Elise Ortiou Campion

Festival de Dakar 1966, photo Maya Bracher, musée d’ethnographie de Neuchâtel Affiche de l’événement Replay ! Dakar 66, septembre 2021, musée du quai Branly – Jacques Chirac

Biennale OFF Dakar 2022Tigritudes


Marianne Derrien

Pouvez-vous nous parler de votre expérience Jeunes Commissaires?

C’était en 2019 pour l’exposition collective SOME OF US, j’ai été commissaire associée  aux côtés de Jérôme Cotinet-Alphaize, commissaire invité. Dans la continuité de certains de mes projets, j’avais ce désir de contribuer à un projet conséquent dédiée à la scène française et à sa diffusion à l’international, notamment en Allemagne de par ma double culture franco-allemande. Faire ce panorama de la scène française à travers plus d’une centaine d’artistes contemporaines a été et reste un engagement fort pour plus d’égalité de genre en art contemporain.

Quoi de neuf depuis Jeunes Commissaires?

Depuis l’exposition en Allemagne, SOME OF US est devenue une plateforme curatoriale et éditoriale que nous avons fait évoluer avec Jérôme Cotinet-Alphaize et d’autres commissaires et critiques d’art pour oeuvrer à la visibilité et la diffusion des artistes contemporaines en France et à l’international. Pour ce faire, nous travaillons activement à la parution d’une anthologie dédiée aux artistes contemporaines qui retrace 20 ans d’art contemporain en France. Aussi, depuis 2020, j’ai commencé une résidence curatoriale et de recherche au Wonder à Clichy, lieu autogéré par des artistes.

Quels sont vos objectifs pour les années à venir?

En tant que travailleuse indépendante, enseignante et responsable associative, SOME OF US participe à un projet plus global pour plus de droits et d’égalité. Ayant une vision inclusive de la création contemporaine tant dans sa diversité que sa pluralité, mon désir est de créer et de partager des outils de travail et de réflexion sur l’art contemporain. Ce soutien majeur à la création émergente en France et à l’international est important selon moi afin de porter des projets plus ouverts, solidaires et ancrés dans notre temps avec d’autres commissaires pour être toujours au plus près des artistes.

SOME OF US, an overview on the French art scene, NordArt Kunstwerk Carlshütte, 2019. Crédit photo : Salim Santa Lucia

Diamants rouillés, une exposition sentimentale, avec Tania Gheerbrant, Youri Johnson, Roy Köhnke, Diego Wery, Le Point Commun, Annecy, 2021, crédit photo : Salim Santa Lucia

Transit, Delphine Reist et Laurent Faulon, Le Wonder, 2021, texte pour l’exposition en collaboration avec le graphiste Cédric Pierre, crédit photo : Salim Santa Lucia

François Dufeil, catalogue monographique, La Graineterie, graphisme : Cédric Pierre, 2022, crédit photo : Cédric Pierre

SOME OF US, graphisme : Huz & Bosshard, 2021

Aëla Maï Cabel, 27ème édition Première, 2021,, Centre d’art contemporain Meymac, 2021-2022, crédit photo : Aurélien Mole

Lilas Rozé, 27ème édition Première, 2021, Centre d’art contemporain Meymac, 2021-2022, crédit photo : Aurélien Mole

Théophile Péris, 27ème édition Première, 2021, Centre d’art contemporain Meymac, 2021-2022, crédit photo : Aurélien Mole


Sophie Lapalu

Doutes, Embed 2019

En quoi votre expérience Jeunes Commissaires a-t-elle nourri votre pratique d’aujourd’hui?

Suite au workshop mené par La Biennale de Berlin, j’ai collaboré avec diverses personnes rencontrées à cette occasion : Dan Meththananda m’a invitée à contribuer à son ouvrage Night Shifter, ou bien j’ai invité Rachel Dedman pour un dossier sur la scène de Beyrouth pour la Belle Revue (je fais partie du comité de rédaction).

Sur quoi travaillez-vous en ce moment?

Je mène une recherche à l’intersection des féminismes intersectionnels et de la recherche-action, plus particulièrement autour de la performance comme espace d’expression de voix minoritaires, dans des espaces non dédiés. Je m’intéresser aux tactiques frivoles, aux types de détournements et de résistances destinées à s’octroyer des espaces et prendre la parole. Je publie des entretiens à ce sujet sur *DUUU Radio.

Quels sont vos projets à venir?

Depuis 2019, avec l’artiste Fabrice Gallis nous portons un projet un peu fou, qui consiste à embarquer des œuvres à bord d’un voilier de 7,6m. Les artistes définissent les modes d’activation et d’existence des œuvres en fonction des possibilités offertes par un tel contexte. Cet été, nous allons naviguer de Cherbourg à Marseille avec cette fois les artistes elleux-mêmes à bord ! Je travaille également à l’édition d’une compilation des invitations faites à l’ESACM autour des enjeux du féminisme intersectionnel dans le champ culturel.

Valentine Traverse, activation de Peinture / Partition, Douarnenez, 21 août 2021

Repas-débat art et recherche-action, Greylight Project, Bruxelles, 2019

Fabrice Gallis et Sophie Lapalu, Embed, around press, 2021

Flora Moscovici, Festival de l’inattention, Glassbox, Paris, 2016

Ghita Skali, Hotel Cosmos, Clermont Ferrand, 2018

Liv Schulman, Hotel Cosmos, Clermont-Ferrand, 2018 @Mickael Collet

Rachele Borghi, invitation au sein du workshop Art et recherche-action, Fructôse, Dunkerque, 2019 Simon Bergala, Veste de mer, Port Blanc, 9 août 2021

Steve Giasson, Festival de l’inattention, Quebec, 2018 @cfo Sophie Lapalu, Street Works, New York, 1969, Presses Universitaires de Vincennes, 2020 Tim Messailler, Festival de l’inattention, Quebec, 2018

Margot Nguyen

[BOURSE VOYAGE/RECHERCHE 2022]

Née en 1993 à Aubervilliers. Vit et travaille à Paris.

Margot Nguyen est commissaire d’exposition, critique et travailleuse indépendante dans le secteur culturel. Diplômée de l’Ecole du Louvre, elle a travaillé dans diverses institutions muséales (Musée d’Art moderne de Paris et Musée de l’Elysée, Lausanne) et, plus récemment, avec des artistes contemporains.

Elle apprécie le dialogue et les processus collaboratifs, et s’intéresse à l’histoire des affects, des images, de l’ésotérisme, à l’oralité, aux notions de communauté, de lien, et à la transmission des mémoires via des formes artistiques vivantes et incarnées.

Elle est engagée au sein de plusieurs structures collectives au sein desquelles elle pense et développe des formats prenant la forme de textes, de recherches, d’expositions ou d’évènements.

Lou Ferrand

[BOURSE VOYAGE/RECHERCHE 2022]

[MISSION EN INSTITUTION 2023 – CCA BERLIN]

Lou Ferrand est curatrice et autrice indépendante. Elle est diplômée du Master 2 en études curatoriales « L’art contemporain et son exposition » de Sorbonne Université (2019). Elle a récemment curaté des expositions et événements à Treize, au DOC! et aux Beaux-Arts de Paris où elle était en résidence en 2020-2021. Ses recherches portent notamment sur les liens entre art contemporain, littérature expérimentale, et enjeux politiques, avec une attention portée à la place de l’édition et de l’archive. Cette dernière année, elle a co-organisé un cycle d’évènements à ce sujet intitulé « Book club » aux côtés de l’artiste Ethan Assouline à Treize (Paris). Elle écrit régulièrement pour des revues ainsi que pour des expositions et monographies d’artistes. Elle vient d’être lauréate de la bourse de recherche curatoriale Fluxus en vue d’une collaboration avec l’artiste Penny Goring.

Texte écrit par Lou Ferrand dans le cadre de la bourse de voyage et de recherche Jeunes Commissaires 2022

Jade Barget — Notes d’observations sur le mouvement de la chair, des états et du soleil

Jade Barget est une jeune conservatrice sélectionnée en 2020 pour la bourse de voyage et de recherche en Allemagne. Elle nous fait part de ses explorations lors de son séjour à Berlin et Francfort sur le Main dans un essai intitulé « Notes d’observations sur le mouvement de la chair, des états et du soleil » (2020).

 

Ouverture

Berlin est une ville qui danse des premières heures de la nuit, aux dernières lueurs du jour, une ville dans laquelle le soir s’étire et s’allonge. Le mouvement des corps entre alors en relation avec le temps – il l’altère, le sculpte.

C’est dans cette capitale aux nuits sans fin que je souhaitais étudier le rôle de la danse et de la chorégraphie au sein des pratiques artistiques et curatoriales actuelles, et réfléchir au potentiel de penser à travers la danse. La bourse de recherche Jeunes Commissaires du Bureau des arts plastiques de l’Institut Français m’a permis de m’engager dans cette étude.

Ce projet est né de ma fascination pour l’image en mouvement, de ses forces et de ses limites. En effet, si les images opèrent sur notre sensible, cette opérativité connaît également une limite, comme nous le rappelle Jacques Rancière. Andrea Soto Calderón, commentant le travail du philosophe, note : « Les images se situent toujours entre un excès et un défaut : il y a toujours un peu plus que ce que l’on voudrait mettre dans une image et toujours un peu moins. » Mes recherches m’ont amenée à étudier le travail d’un certain nombre d’artistes qui, à travers une approche corporelle, s’émancipent de l’image, se défont de ses logiques de représentation. À la lisière du visible, à travers la danse et la chorégraphie, ils·elles sculptent le sensible, l’affect, ou encore les états psychiques.

En savoir plus

FOCUS IN BERLIN

En Septembre 2020, le Bureau des arts plastiques a initié Focus à Berlin, un programme consistant à réunir des professionnels du monde de l’art contemporain allemands et français sur deux journées autour de la scène artistique française basée à Berlin. Né d’une volonté de faire la lumière sur ces artistes qui ont quitté la France, temporairement ou pour du long terme, le programme était constitué de visites d’ateliers et d’expositions, de temps d’échange avec les artistes, et de moment conviviaux propices aux rencontres entre professionnels.

Rencontre entre artistes et professionnels à l’Institut français de Berlin

Cette année, les participants qui nous ont fait le plaisir de rejoindre le programme sont Tomke Braun (Kunstverein Göttingen), Marie Griffay (FRAC Champagne Ardenne), Lydia Korndörfer (Kunstverein Arnsberg), Benoit Lamy de la Chapelle (CAC Synagogue de Delme), Lucie Sotty (Galerie Sans titre (2016)), Thomas Thiel (Museum für Gegenwartskunst Siegen), ainsi que les artistes Saâdane Afif, Edouard Baribeaud, Charlotte Dualé, Cécile Dupaquier, Dominique Hurth, Matthieu Martin, Xavier Mazzarol, Adrien Missika, Pierre-Etienne Morelle, Aude Pariset, Jimmy Robert, Maya Schweizer, et Emilie Pitoiset dans le cadre de son exposition à Klemm’s. En savoir plus