MONTPELLIER / NIMES / SETE / SERIGNAN / ARLES: Carnet d’impressions d’Anna Schneider

Anna Schneider, conservatrice de la Haus der Kunst de Munich, revient sur ses impressions du Programme d’art visuels FOCUS dans le sud de la France, un voyage  de découverte de la scène artistique locale organisé par l’Institut français.

Photo: Frank Bauer, 2016

Pendant cinq journées chaudes et intenses de juillet qui, à bien des égards, continueront à m’inspirer, nous avons été quelques privilégiés à découvrir la scène artistique contemporaine du sud de la France. Il ne fait aucun doute que Paris est le centre névralgique de la vie culturelle française. Et pourtant, le sud, outre son climat méditerranéen, ses paysages enchanteurs, son excellente gastronomie et son patrimoine culturel riche de l’histoire de ses habitants, n’a rien à  envier à la capitale en art contemporain. Une scène artistique s’y est en effet développée, urbaine, variée, expérimentale, reliée, évolutive. D’ailleurs, l’Institut français – l’organisateur de ce voyage – a mis l’accent sur la vitalité et la qualité des projets des institutions que nous avons visités à Montpellier, Nîmes, Sète et Sérignan.

Je  soulignerais un exemple notable.  Le MOCO est un tout nouveau complexe d’art contemporain de grande envergure via  lequel la ville de Montpellier souhaite s’inscrire sur la carte. Trois institutions le constituent, nouvelles et existantes, dans et hors la ville. L’Hôtel des Collections regroupe les collections, La Panacée se veut un lieu d’expositions interdisciplinaires, et l’Ecole d’Art de Montpellier (ESBAMA) souhaite intégrer concrètement ses étudiants dans le circuit économique.

En juin 2019, le MOCO Hôtel, la pièce maîtresse de l’ensemble,  a ouvert ses portes sous l’égide de Nicolas Bourriaud, critique et conservateur, connu entre autres comme le fondateur du Palais de Tokyo et le directeur artistique de la Biennale d’Istanbul cette année.  Le lieu vise l’ouverture de collections internationales privées et publiques, c’est ainsi  pour la première fois, les pièces phares de la collection Yasuharu Ishikawa furent dévoilées au public lors de l’exposition inaugurale Intimate Distance. Encore jeune, cette collection rassemble des œuvres de plusieurs générations rassemblées autour d’une idée directrice. Des artistes conceptuels, de renommée internationale comme Marcel Broodthaers, On Kawara, Lawrence Weiner et établis tels que Félix González-Torres, Pierre Huyghe, Danh Vo mais aussi plus jeunes comme Simon Fujiwara, Haroon Mirza et Rachel Rose sont exposés.

Pierre Huyghe, Untitled (Human Mask), 2014, Fondation Ishikawa, Okayama, Courtesy of the artist, Esther Schipper, Berlin, et Anna Lena Films, Paris © Pierre Huyghe

Le MOCO souhaite conquérir la ville et investir l’espace hors des institutions. Dans 100 Artists in the City-ZAT 2019, un grand nombre d’artistes essentiellement français sont à voir dans les boutiques, les cafés et les espaces publics. L’installation permanente au sol  d’Abdelkader Benchamma (né en 1975 à Mazamet, France) en pleine rue m’a enchantée. La stratégie de 100 Artists in the City-ZAT 2019 qui consiste à investir l’espace urbain n’est pourtant pas récente et reste efficacement utilisée depuis longtemps par des manifestations de grande échelle comme les biennales.

Abdelkader Benchamma, 100 Artists in the City-ZAT 2019, Photos: Anna Schneider

A Montpellier aussi donc, le microcosme culturel local peut se modifier et devenir une terre propice au tourisme culturel. Le repositionnement de son paysage culturel contribue sans doute à faire de Montpellier une ville riche – musées, danse, théâtre, musique, festivals – et au  rayonnement international. Reste à voir si l’approche innovante de MOCO Hôtel de Collections sera durable. Toujours est-il que la rénovation de l’ancienne bâtisse est réussie, de même que la refonte des structures institutionnelles établies par des utilisations renouvelées sont un franc succès. Cela vaut la peine de revenir à la ville, voir ainsi la résonance des nouvelles institutions de la ville et l’évolution du jardin « Jardin des cinq continents » créé par Bertrand Lavier à l’Hôtel de Collections.

Les autres villes de la région ne sont pas en reste.  A Nîmes, le Carré d’Art, conçu par Sir Norman Foster, présente sa collection d’art contemporain des années 1960 à nos jours ainsi que des expositions temporaires dont l’identité méditerranéenne est un point fort.  Fragments de l’artiste Rayyane Tabet (née en 1983 à Achqout, Liban), qui explore une fouille archéologique en Syrie sous la direction de Max von Oppenheim et ses liens avec sa famille, en est un parfait exemple.

Rayyane Tabet, Photo: Anna Schneider

Autre temps fort, l’exposition Free Trade de Mohamed Bourouissa (né en 1978 à Blida, Algérie) pendant Les Recontres d‘ Arles investit un supermarché Monoprix et donne un excellent aperçu des derniers travaux de l’artiste. Le choix du lieu semble particulièrement approprié tant la question des cycles de valeurs dans l’œuvre de Bourouissa est saillante.

Mohamed Bourouissa, Photo: Anna Schneider

L’exposition Tu m’accompagneras à la plage au CRAC Occitanie à Sète m’a particulièrement plu. Le bâtiment d’origine lui-même est impressionnant : l’entrepôt frigorifique de conservation du poisson sur les rives du Canal Royal a été transformé en salle d’exposition de 1 200 m2 en 1997 et a conservé son charme industriel brut. L’exposition présente le travail interdisciplinaire de Valentine Schlegel, une artiste de Sète dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. Dans son travail, le désir d’unir l’art et la vie dans ce qu’elle a de quotidien, d’utilitaire, de laborieux se réalise: il n’y a pas de hiérarchie de valeur entre la beauté d’un outil, la conception d’un costume de théâtre, la conception d’un poêle, d’un vase en céramique, un dessin ou le travail du pêcheur. Née à Sète en 1925, elle étudie à l’Ecole des Beaux-Arts de Montpellier, puis travaille comme costumière, accessoiriste, scénographe et décoratrice pour le Festival d’Avignon avant de s’installer à Paris en 1945. Ses œuvres sont légères et orientées vers le monde par un désir de voir la beauté en toute chose, visiblement transféré à la commissaire Hélène Bertin.

Valentine Schlegel: Tu m’accompagneras à la plage ?, CRAC Occitanie 2019, Photos: Anna Schneider

Tout aussi impressionnante a été l’exposition Les Chemins du Sud au Musée regional d’art contemporain de Serignan et à l’Abbaye de Fontfroide. Un projet dense, coloré et expérimental qui explore la question du modernisme alternatif au-delà des grands centres d’art de New York et de Paris. Un thème bien sûr pertinent pour la région. Les commissaires Emmanuelle Luciani & Charlotte Cosson rassemblent un grand nombre d’artistes d’horizons, de milieux et de générations variés du XIXe siècle à nos jours, nous invitant à un voyage visuel à travers le Sud compris à la fois comme région mais aussi comme attitude venant de la périphérie et avec laquelle une sorte de contre-pouvoir à la modernité se développe.

Anna Schneider (née en 1979 à Munich)est la conservatrice de la Haus der Kunst de Munich depuis 2012. Avec de nombreuses années d'expérience derrière elle en conception et réalisation d'événements et d'expostions internationales, ainsi que celles de catalaogues, son approche se focalise sur le réseau mondial de l'art contemporain sous les angles politiques, historique et économique. Conservatrice adjointe à la Villa Stuck de 2010 à 2012, elle a auparavant travaillé pendant un an à Platform3 à Munich. Elle a aussi organisé des expositions indépendantes. 

Distance intime: Chefs-d'oeuvre de la collection Ishikawa (26.6.-29.9.2019)
MOCO Montpellier

Rayyane Tabet: FRAGMENTS (12.04.-22.09.2019)
Carré d'Art

Mohamed Bourouissa: Free Trade (01.07.-22.09.2019)
Les Rencontres d’Arles

Valentine Schlegel: Tu m'accompagneras à la plage ? (22.06.-29.09.2019)
CRAC (Centre d'Art Contemporain) Occitanie

Les Chemins du Sud, une théorie du mineur (23.06.-03.11.2019)
MRAC (Musée régional d'art contemporain) Occitanie