Nouvelles formes de soutien aux jeunes commissaires d’exposition en France et en Allemagne
Journal
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« Bist du bereit? » Un retour sur le programme « Rendez-vous » par Katia Porro
Par Katia Porro – participante du programme « Rendez-vous: rencontres de directeurs, directrices et commissaires d’exposition de centres d’art français et allemands » organisé en novembre 2024 par le bureau des arts visuels de l’Institut français d’Allemagne.
« Es-tu prêt·e ? » Cette question, brodée sur une casquette achetée au Kunsthalle Osnabrück, a, avec le recul, pris la saveur d’un refrain qui aurait pu m’accompagner tout au long du programme Rendez-vous. En y repensant, elle semble murmurer à chaque détour : es-tu prêt·e à explorer 15 espaces d’art dans 12 villes en seulement 4 jours ? À courir – oui, littéralement – valise à la main, d’un centre d’art à l’autre, avant de passer neuf heures à enchaîner les trains pour rentrer en France, courtesy de défaillances de la Deutsche Bahn ? Es-tu prêt·e à grimper dans un espace exigu et discret, à pénétrer à l’intérieur du toit d’un bâtiment de Frank Gehry et comprendre, enfin, comment tout cela tient en place ? Ou encore, es-tu prêt·e à plonger dans l’intensité de ce voyage, à savourer la richesse de chaque rencontre et à réfléchir à la façon dont nous, travailleur·euse·s de l’art partout, naviguons constamment entre l’éclat tapageur du monde de l’art et les défis souvent invisibles qui le maintiennent à flot ?
En novembre 2024, j’ai rejoint Maëla Bescond, Benoît Lamy de La Chapelle, Loïc Le Gall et Alexia Pierre – tou·tes directeur·ices et travailleur·euses dans des centres d’art français – pour un voyage en Allemagne dans le cadre d’un programme visant à encourager la collaboration institutionnelle entre les institutions françaises et leurs homologues allemandes. On pourrait dire que j’utilise le terme « institution » de manière un peu large ici, car In extenso, l’espace dont je suis la directrice, est loin d’être considéré comme tel. Petit lieu associatif à but non lucratif à Clermont-Ferrand fondé en 2002 et éditeur du magazine gratuit d’art contemporain La belle revue, In extenso est souvent sous-estimé en raison de sa taille et de ses ressources, tant humaines que financières. Pourtant, notre travail reflète celui des centres d’art reconnus : produire des expositions, soutenir la recherche et l’expérimentation et développer des actions de médiation. Ma participation à ce programme reflète donc une nécessaire remise en question de la hiérarchie entre structures et échelles, et ce à juste titre, car les défis partagés, vécus à des échelles différentes, ont mis en lumière des réalités communes entre nos pair·es. Mais revenons à ce voyage en Allemagne, en novembre 2024…
Dans un tourbillon – quatre villes par jour ou presque, des conversations furtives pendant des réunions de 45 minutes, qui se poursuivaient dans les transports en commun entre deux expositions, deux villes – nous avons découvert des réalités partagées et tissé des liens entre nous et avec nos homologues allemands. Bien que nous ayons souvent discuté des défis auxquels nous faisons face – réductions budgétaires, ingérences politiques, pression constante sur le travail culturel – ces échanges ont créé un terreau fertile pour comprendre notre condition (en référence au texte du même titre d’Aurélien Catin) en tant que travailleur·euses de l’art. Loin d’éclipser les expositions que nous avons visitées, ces conversations ont résonné avec les propositions artistiques que nous avons découvertes, abordant des problématiques telles que la violence et les rapports de pouvoir.
Ce qui m’a le plus surprise, ce n’est pas tant l’universalité de ces luttes, mais l’intensité avec laquelle elles s’expriment. De grandes institutions, des phares de prestige culturel, se sont révélées soutenues, pour certaines, par des équipes souvent petites et surchargées. Deux, trois personnes parfois, portant à bout de bras des programmes de renom. Il y a une certaine ironie à évoquer nos conditions de travail, souvent invisibles, dans ces anciens lieux bourgeois réaffectés, où nous exerçons notre activité, à la fois imposants et empreints d’une histoire qui masque le poids de notre travail.
Pourtant, ces échanges avaient quelque chose de réconfortant, une solidarité rare et nécessaire. Nous avons partagé la solitude de gérer des institutions artistiques, les nôtres pour la plupart éloignées des grands centres culturels, et ce que cela implique. L’énergie incessante qu’il faut pour persévérer, même lorsque les ressources et la reconnaissance ne sont presque jamais à la hauteur des efforts. Et malgré tout, nous trouvons des raisons de continuer. Des raisons d’être prêt·es, encore et toujours.
Ainsi résonnaient avec les problématiques de violence, d’invisibilisation et de rapports doux-amers à notre milieu certaines des expositions dans lesquelles ces conversations ont eu lieu.
À la Haus am Waldsee, les poupées à l’échelle 1 de Gisèle Vienne – immobiles, marquées de blessures et de charges invisibles – emplissaient l’espace d’un silence lourd. Leur présence imposait une confrontation avec des tensions latentes, inscrites dans la matière même de ces corps figés. Le corps devenait ainsi le lieu des souffrances, mais aussi du silence et du témoignage muet, évoquant les violences familiales. Au-delà de cette dimension, ce travail, d’une rare acuité, abordait de manière plus globale les systèmes de pouvoir qui traversent notre société, mettant en lumière des fractures invisibles. Il incitait à réfléchir sur les formes de violence globales, souvent reléguées au silence dans notre milieu, et à soutenir des pratiques qui dénoncent ces dynamiques de pouvoir. Il soulignait surtout l’urgence de résister à toute forme de répression. Un exemple en est l’exposition par le CCA des photographies de Rene Matić, prises lors d’une manifestation pour la Palestine, une démarche courageuse dans un contexte politique marqué par des accusations de censure.
À Bielefeld, le programme Keychain du Kunstverein offrait un contrepoint, un geste de résilience. Les co-directrices Katharina Klang et Victoria Tarak transmettent les « clés » métaphoriques de leur institution à d’autres, invitant à un dialogue entre les espaces et leurs conditions. Reconnaître le poids des réalités des un·es et des autres, amplifier les voix plutôt que les étouffer – peut-être que l’espoir, comme la lutte, réside là.
Au Dortmunder Kunstverein, Liquid Currency Bar de Zoe Williams étendait la conversation à la valeur et à l’économie. Cette installation composée d’un bar et une scène arborant un rideau jaune-pisse, conçue pour des performances et des événements, interroge les chaînes de valeur. Exemple : une bouteille de champagne à 100 euros consommée, simplement pour être urinée et transformée en déchet. La question des flux entrée/sortie, de notre travail et de sa valeur, surgit alors, questionnant les absurdités des économies libidinales.
Enfin, à Osnabrück, l’exposition personnelle On the Street Where You Live de Steve Bishop. Un tableau suburbain installé dans une ancienne église – une voiture garée devant un garage, du jazz émanant de sa fenêtre, l’odeur familière et étrange d’un congélateur, les photos de famille à Disney, les lumières qui nous suivent comme des veilleuses. Cela ressemblait à un requiem pour l’innocence, un rappel du moment où l’illusion réconfortante de l’enfance éclate, nous laissant face aux contradictions désordonnées de l’âge adulte. Dans le contexte de notre voyage, cela résonnait comme un écho doux-amer : l’équilibre impossible entre la croyance en ce que nous faisons et la navigation dans le désenchantement.
En fin de compte, il ne s’agit pas seulement d’être « prêt·e ». La question, telle que l’a posée Nan Goldin à Berlin le jour de notre départ d’Allemagne, est plus urgente :« Est-ce que vous écoutez ? » S’adressant à la foule lors de l’inauguration de son exposition, elle a évoqué l’amnésie historique et la marée insidieuse du silence. Ses mots sonnaient comme un défi. Rester prêt·e, ensemble. S’organiser. Se battre contre le silence, pour des espaces où l’art peut encore dire la vérité. S’écouter.
Photo 1 : « Bist du bereit »: Merchandising de l’exposition « Bist du bereit? » de Diane Hillebrand à l’occasion de l’anniversaire des 30 ans de la Kunsthalle Osnabrück, 2023. Courtesy Kunsthalle Osnabrück. Photo: Lucie Marsmann
Photo 2 : Steve Bishop, « On the Street Where You Live », Installation Kunsthalle Osnabrück, 2024. Courtesy of the artist and Carlos/Ishikawa. Photo: Steve Bishop
Alexia Pierre – Pause for/to love?
Revue de l’exposition personnelle de Renée Matić, AS OPPOSED TO THE TRUTH, CCA Berlin
Par Alexia Pierre – participante du programme « Rendez-vous: rencontres de directeurs, directrices et commissaires d’exposition de centres d’art français et allemands » organisé en novembre 2024 par le bureau des arts visuels de l’Institut français d’Allemagne.
“I do look at love so much in my work, as a way of surviving
and trying to find a way out of this kind of chaos”
– Renée Matić (par Emma Russel, i-D, Oct. 2023)
La lueur sanguine des néons de l’entrée du Center for Contemporary Arts (CCA), étape de notre marathon berlinois entamé quelques heures auparavant, nous accueille et électrise un contraste avec les lumières bleutées de vitraux filtrant depuis l’extérieur. L’architecture brutaliste que nous offre ce bâtiment, nid d’abeille en béton adjacent à la nouvelle église du Souvenir – Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche, et son agencement au mobilier boisé, enveloppent l’espace d’une atmosphère tout en dualités : froideur fonctionnelle et révérence mémorielle se côtoient, tandis qu’à l’impersonnel bureaucratique de cet ancien foyer semble s’imbriquer la chaleur domestique.
Quelques pas à peine dans le corridor minimaliste dessinant les contours du centre d’art cubique, desservant ses salles d’exposition, une première alcôve donne vue sur un placard en bois lumineux, grand ouvert. Ce dernier dévoile une collection de poupées noires tendrement installées sur les étagères, nous fixant.
C’est sur cette première œuvre que s’ouvre AS OPPOSED TO THE TRUTH, première exposition personnelle dans une institution allemande de l’artiste britannique et basé.e à Londres, Renée Matić (né.e en 1997, Peterborough, UK). La photographie, le film, le texte et l’installation se juxtaposent, se superposent, pour former une pratique résolument personnelle à travers laquelle l’artiste adresse des thématiques ayant attrait à l’identité, aux sous-cultures, à la foi et à la famille. Au-delà de la collection, avec Restoration (débutée en 2022) Matić adopte avec affection ces poupées, dont le manque de soin se révèle dans leurs blessures et cicatrices apparentes autant qu’il renvoie à l’expérience du père de l’artiste, abandonné enfant à Peterborough et ayant trouvé communauté parmi les skinheads. A son origine, dans les années 1960s, le mouvement était porté par le rassemblement autour des genres musicaux jamaïcains, du ska et du reggae. L’affirmation de l’identité noire autant que la foi en l’amour qui persiste, et répare, à travers l’oppression systémique et malgré la marginalisation émergent ainsi parmi les fondations du travail de Matić.
Les baisers se mêlent aux graffitis, les corps dénudés des soirées chevauchent des pancartes de mouvement sociaux. Lumières de la nuit. Pauses que la photographie offre au temps, à la vie, à l’artiste. L’intime, les familles choisies, la danse, la célébration, la manifestation, s’exposent dans la série de photographies Feelings Wheel (débutée en 2022). La spontanéité de ces clichés se reflète, tout en transparence et fragilité, dans leur présentation sur des planches en verre disposées à même le sol, négligemment accolées aux parois de l’alcôve. Elles intiment de s’en approcher, de s’accroupir, de les feuilleter comme l’on chercherait un CD – les superpositions d’une image sur l’autre se déplacent, les histoires se réinventent. Les voix aussi se mélangent, s’assemblent. « Lift me up / Keep me safe, safe and sound. »1 Celle de Rihanna succède à celles de James Baldwin et bell hooks ; les leurs s’agrègent à des conversations personnelles, à des fragments de l’actualité, aux cloches de l’église voisine. Traduisant l’éclatement caractéristique de la société dans laquelle nous vivons, la pièce sonore 365 (2024) s’écoute dans une micro-salle de Ballroom dancing ; le corps est au centre baigné dans le rouge d’un néon.
Le travail aussi tendre que tranchant de Renée Matić, affirme la vulnérabilité de l’intimité, revendique la croyance en ce qui nous bouleverse et nous relève dans la violence environnante. Le désir –le besoin ? – d’amour habitant ses œuvres s’intègre à l’échelle intime du CCA et à son emplacement géographique, que l’on ne peut ignorer : celui d’un mémorial pour la paix, la réconciliation. L’on relève alors tout autant la justesse ironique et symbolique de l’installation Untitled (No Place for Violence) (2024) : un drapeau traversant l’espace central de l’exposition sur lequel sont imprimés les mots « No place » (au recto) « For violence » (au verso). Pile ou face ?
Recueillement en un lieu, en une pratique ; temps suspendu qu’un riche programme de visites, de rencontres, rendit possible. Entre 10 villes et 15 institutions, c’est à cet arrêt que je fais pause.
Photo credit: Rene Matić AS OPPOSED TO THE TRUTH Installation view CCA Berlin 2024-25 Photos Diana Pfammatter-CCA Berlin
1 Paroles empruntées à la chanson « Lift Me Up (From Black Panther: Wakanda Forever» (2022) de Rihanna.
Projets
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Les Vitrines 2024 – Exposition d’Arthur Gillet – « Tout ce dont vous n’avez jamais entendu parler »
Les Vitrines est un espace d’exposition consacré à la scène artistique française, initié par le Bureau des arts plastiques de l’Institut français d’Allemagne et de l’Institut français de Berlin, dont la direction artistique est confiée en 2024 à la commissaire d’exposition Lisa Colin et l’identité visuelle au studio Kiösk.
Nouvelles langues
Cette année, Les Vitrines accueillent tour à tour les artistes Arthur Gillet et Lou Masduraud à prendre part à une révolution romantique. De la peinture sur soie à la patine du bronze, leurs pratiques singulières et minutieuses détournent les savoir-faire traditionnels, et dévoilent des mondes merveilleux, jusqu’ici occultés. Les fresques spécialement créées pour l’occasion prônent le temps long, l’interrelation et la réhabilitation du soin et de l’écoute comme forces indispensables à la reconstruction d’un monde commun.
Arthur Gillet
Tout ce dont vous n’avez jamais entendu parler
08.03 – 15.06.2024
Vernissage le jeudi 7 mars à 19h et performance d’Arthur Gillet à 20h en entrée libre
C’est au travers d’une peinture sur soie de vingt-cinq mètres de long, qu’Arthur Gillet retrace son parcours, conscient de sa difficulté à s’adapter au monde et à l’autre. Cette fresque, à la fois personnelle et universelle, témoigne de la vie d’un CODA – Child of Deaf Adults [enfant entendant de parents sourds], dévoilant des aspects souvent méconnus de la vie des sourd·es et des enjeux socioculturels liés à cette divergence. Par un ensemble de figures, l’œuvre transcende les barrières linguistiques, et explore les subtilités de la communication non-verbale.
D’une flèche qui traverse l’oreille de sa mère, la peinture évoque la perte de son audition, et les étapes de vie qui en découlent : son éducation au couvent où on lui interdit de signer, sa participation au Réveil Sourd – mouvement pour la réhabilitation de la Langue des Signes Française, la naissance d’Arthur et son intégration difficile, situé entre le monde des sourd·es et des entendant·es, l’isolement social, les moqueries et la violence de la différence, avant de trouver, chacun·e, une forme d’émancipation dans les nouvelles technologies. Arthur Gillet s’inspire des enluminures de Cristoforo de Predis, un artiste sourd du Moyen Âge italien, notamment dans l’usage de couleurs vives et la représentation de structures symboliques : les architectures – reclusoir, église, porte, tours – sont autant de lieux d’isolement que de franchissements pour ces personnages, guidés par des présences invisibles. L’iconographie dévoile le rôle souvent occulté de la religion dans l’histoire des sourd·es, où la confusion entre surdité et déficience mentale a conduit à la réclusion et à la stigmatisation. Néanmoins, la figuration, art déjà employé dans les églises pour transmettre le contenu d’un livre à une population analphabète, ne s’est pas arrêtée à une dimension purement pédagogique ou décorative. Les fresques du couvent San Marco de Fra Angelico étaient destinées à devenir un support au dialogue intérieur. Il apparaît dans les cultures sourde et CODA, la conviction qu’au-delà d’une dialectique occidentale (platonicienne, chrétienne ou moderne) l’image n’est pas le substitut d’une vérité intellectuelle qui lui serait supérieure, mais une expression à part entière, riche et pleine de sens, capable de pallier les limites du verbe.
Pour autant, jusqu’en 2005 être sourd·e ou CODA signifie ne pas avoir de langue maternelle. En 1880, le congrès de Milan réunit deux-cent-vingt-cinq « spécialistes » dont seulement trois sourds, et conclut à la nécessité de promouvoir la méthode oraliste au détriment des langues visuelles. Les langues des signes sont interdites jusqu’en 1991[1], et reconnues progressivement en Europe comme langues officielles dans les années 2000 (en France en 2005). L’oralisme exige des personnes sourdes une intégration forcée par mimétisme, au prix de méthodes douloureuses et mutilantes (appareils, trépanations). S’inscrivant dans une pédagogie qui impose que l’on entende et parle avant d’écrire, l’oralisme dénigre les capacités et l’intelligence propres à chaque individu. Des méthodes d’apprentissage forcé se développent, Cet enfant sera comme les autres : il entendra, il parlera[2]. En conséquence, en France en 2003, parmi les deux millions de personnes nées sourdes, l’illettrisme est massif et atteint les 80%[3]. C’est le cas de la mère d’Arthur, qui obtient en 1971 le seul diplôme à sa portée, un certificat d’aptitude professionnelle en Arts Ménagers. Elle participe dans les années 70-80 au Réveil Sourd, mouvement militant pour une éducation bilingue de l’enfant sourd·e, conjointement aux luttes féministes, antiracistes, LGBTQ et décoloniales, qui défendent leurs reconnaissances et leurs droits. C’est par cette rencontre avec d’autres personnes sourdes, que sa mère apprend à l’âge de 17 ans sa « langue naturelle », la langue des signes.
Revenant sur des faits parfois traumatisants, Arthur Gillet rend visible des conditions socio-politiques méconnues, et met en lumière l’inversion de la parentalité qui s’opère fréquemment : les enfants CODA se voient jouer le rôle d’intermédiaire ou de parent auprès d’une société entendante validiste (recherche de travail, traduction, socialisation, intégration). Ainsi, il révèle l’impact majeur des avancées technologiques, telles que l’invention du minitel, du téléphone, de la lampe-flash radio Lisa (qui traduit le son en lumière), ou du télétexte Antiope (pour la transcription en direct des dialogues et sons des films, spatialisés par un code couleur) qui ont non seulement facilité la communication et la sociabilisation, mais ont surtout contribué à l’autonomisation des personnes sourdes. Dans sa fresque, l’artiste développe une iconographie multiple de l’invisible, où la technologie prend le pas sur la religion : les anges sont remplacés par des écrans annonciateurs, le clocher de l’église par une tour de transmission, les rayons sacrés sont des ondes radios. Le 21e siècle devient alors l’époque de la magie, les choses adviennent sans qu’on en comprenne leur fonctionnement. Dans la lignée d’Hilma af Klint[4], dont les carnets et peintures sont empreints de spiritisme, l’œuvre d’Arthur Gillet est un portail vers d’autres dimensions, où le réel cohabite avec le fantastique. L’emploi de la figuration rend visible une condition physique qui ne l’est pas, contrant sa « monstruosité », c’est à dire précisément son manque de représentation. Les nouvelles technologies ont également apporté une grande visibilité au mouvement, une représentation politique autogérée, à l’instar d’autres minorités.
La fresque, éclairée par l’arrière, prend des allures de vitraux ou d’écran, et se déroule comme une pellicule cinéma : en longeant la vitrine, on découvre une suite d’images qui s’animent, témoin silencieux de la vie d’un CODA. Entre la revendication d’être « comme les autres » et celle d’être reconnu dans sa spécificité, Arthur Gillet déconstruit les stéréotypes et dépeint la surdité non pas comme une incapacité mais comme une divergence physique, d’intelligence et de sensibilité. Tout ce dont vous n’avez jamais entendu parler est un manifeste visuel ; le témoignage poignant d’une lutte pour l’inclusion et la reconnaissance culturelle.
Lisa Colin
[1] Dès 1975, des associations comme l’IVT – International Visual Theatre vont enseigner en Île-de-France la Langue des signes française. C’est en 1991 que l’amendement « Fabius » reconnaît aux familles le droit de choisir une communication bilingue dans l’éducation de leurs enfants. Ce décret sera très peu respecté, seuls 1 % des élèves sourd·es ont par la suite accès à ces structures.
[2] Marcelle CHARPENTIER, Cet enfant sera comme les autres : il entendra, il parlera. Dès l’âge de la maternelle (Éditions sociales françaises, Paris, 1956).
[3] Brigitte PARRAUD et Carole ROUDEIX, « Bibliothèque, lecture et surdité », BBF – Bulletin des bibliothèques de France (En ligne, 2004).
[4] Peintre suédoise (1862-1944), qui a voué sa vie et son travail à l’exploration de l’invisible.
Arthur Gillet (né en 1986, vit et travaille à Paris) est un artiste plasticien et performeur. Diplômé de l’École des beaux-arts de Rennes, il se forme parallèlement à la danse contemporaine au Musée de la danse. Il grandit en transition de genre, dans une famille sourde et neuro-atypique en marge du marché du travail. Dans ses travaux, Arthur Gillet approfondit les thématiques du désir, de l’identité, de la lutte sociale et des médias ; par sa pratique de la performance et du happening, il investit les espaces publics ou institutionnels. Il est marqué par les autrices et artistes qui ont accompagné son parcours de transition : Naoko Takeuchi, Jane Austen, Valtesse de la Bigne, Virginia Woolf, Murasaki Shikibu, Isabelle Queval, Geneviève Fraisse, Elisabeth Lebovici. Arthur Gillet a présenté son travail en France et à l’international, au CAC Brétigny, au Palais de Tokyo (Paris), à PROXYCO Gallery (New-York), au Transpalette – Centre d’art contemporain de Bourges, entre autres.
Site internet : https://arthurgillet.com/
Instagram : @arthurouge
Crédits photos : Kathleen Pracht
Kiösk est un studio de design graphique basé à Ivry-sur-Seine. Le duo composé d’Elsa Aupetit et Martin Plagnol dessine des identités visuelles, des sites Internets, des affiches, des éditions, des signalétiques, dans le cadre de la commande publique comme privée. Ils ont également fondé la maison d’édition indépendante Dumpling Books.
Instagram : @studio_kiosk
MISSION AU SEIN DE LA KUNSTHALLE PORTIKUS X LUCAS JACQUES-WITZ
Cette année, le jeune commissaire Lucas Jacques-Witz a été sélectionné pour intégrer l’équipe de curation de la Kunsthalle Portikus à Francfort-sur-le-Main pour travailler en étroite collaboration avec les équipes de l’institution allemande pour l’organisation et la mise en œuvre de la manifestation PORTIKUS ART BOOK FESTIVAL et des programmes de médiation.
Se déroulant du 19 au 23 octobre 2022, parallèlement à la Foire internationale du livre de Francfort, PORTIKUS ART BOOK FESTIVAL est un projet d’expositions, d’ateliers et de conférences publiques qui vise à mettre en lumière le travail d’éditeurs et d’éditrices de livres d’art indépendants et internationaux, à partager et échanger sur les pratiques contemporaines de création de livres d’artistes, fanzines, magazines, multiples, etc. Son objectif est de présenter une pluralité de créateurs et créatrices, d’exposer leur travail et de les faire dialoguer au sein d’une scénographie d’exposition spécialement conçue pour l’occasion par le studio d’architecture espagnol MAIO. La présentation des livres y sera en constante évolution, invitant les visiteurs, avec l’aide de l’équipe de Portikus, à établir de nouvelles connexions entre les différentes pratiques de l’édition. PORTIKUS ART BOOK FESTIVAL présentera également une série de discussions publiques axées sur la transmission des connaissances et des expériences d’acteurs internationaux de l’édition de livres d’art et pour un public plus jeune, des ateliers artistiques axés sur la création de fanzines seront organisés, en collaboration avec une école locale et des étudiants de la Städelschule.
STAPLED
STAPLED est un événement d’une semaine qui servira de plateforme pour les éditeurs d’art expérimental du monde entier. éditeurs d’art expérimental du monde entier de se rencontrer et d’échanger des idées pendant la Foire du livre de Francfort, la plus grande foire du livre au monde. d’échanger des idées pendant la Foire du livre de Francfort, la plus grande foire du livre au monde. du monde. STAPLED vise à jeter un pont entre les différentes scènes de l’édition d’art. entre les différentes scènes de l’édition d’art. En mettant l’accent sur la création d’un dialogue entre les éditeurs d’art internationaux, une sélection d’artistes, de studios de une sélection d’artistes, de studios de graphisme et d’éditeurs internationaux seront invités à présenter leur travail dans une scénographie d’exposition spécialement commandée pour l’exposition. dans une scénographie d’exposition spécialement conçue pour l’occasion. pour l’occasion. Repenser les façons de s’engager avec les livres aujourd’hui, un artiste ou un architecte sera invité à créer une scénographie d’exposition spécialement commandée pour l’occasion. sera invité à créer une scénographie d’exposition spécialement pour l’occasion. Cette scénographie unique sera au centre de la toute première présentation de Portikus sur les pratiques de l’édition d’art. présentation de Portikus sur les pratiques de l’édition d’art. Il sera essentiel de Il sera essentiel de s’engager les uns avec les autres et avec les livres présentés. L’objectif de STAPLED L’objectif de STAPLED est de présenter une famille cohérente de créateurs de livres en exposant leurs travaux ensemble et en les faisant dialoguer dans le cadre d’une exposition. en exposant leurs travaux ensemble et en les faisant dialoguer dans le hall principal de Portikus. La présentation des livres changera constamment, invitant les visiteurs à tracer de nouvelles frontières entre les différentes approches de l’édition. L’exposition STAPLED est gratuite et sera s’accompagnera de diverses séances de dédicaces avec des artistes et des locales et internationales qui se dérouleront tout au long de la journée.